Cinéma - Rashōmon d'Akira Kurosawa (1950)

Déjà onzième film d’Akira Kurosawa, ce film pourrait n’apparaître que comme un film de sabre, au regard de l’affiche. Mais on s’apperçoit très vite qu’il n’en est rien, autant pour des raisons de contexte de tournage que pour l’histoire en elle-même.

Car en 1950, nous sommes dans un Japon occupé par les USA et dans la guerre de Corée voisine. L’occupant interdit toute évocation des Samouraïs et des sabres. Il n’y aura que l’assouplissement des règles en fin de tournage qui permettra d’être cohérent avec les nouvelles de Ryonosuke Akutagawa, écrivain mort avant la 2ème guerre mondial et qui traite souvent de ce choc identitaire dans le Japon de l’ère Meiji entre le Japon traditionnel et la modernité. Mais ici nous sommes dans une période estimée autour de l’an 800. C’est une même histoire qui va être racontée par 4 personnes : Celle de la mort d’un Samouraï (Masayuki Mori) suite au viol de son épouse. L’épouse (Machiko Kyo) a survécu et s’est réfugié dans un monastère. Mais entre le brigand (Toshiro Mifune), le bûcheron (Takashi Shimura), la femme et le défunt (via un médium!) , qui détient la vérité ?

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Akira Kurosawa use pour la première fois du Flashback tout en introduisant un procédé narratif qui prendra le nom du film : La description d’un même évènement par plusieurs points de vue. On peut craindre l’ennui du spectateur mais c’est tout l’art de la mise en scène que de faire passer cela avec élégance dans un métrage de 1H20. Et le film s’ouvre sous une pluie diluvienne, dans des ruines, où se réfugient trois hommes : Un passant, un moine et le bûcheron qui est perturbé par cette histoire. Le contexte impose déjà au spectateur le chaos des évènements et de ces histoires qui s’entrechoquent. Le moine connaît la même histoire mais semble aussi affligé, malgré le flegme de sa fonction. On pense donc que c’est ce passant, homme de la rue, qui va pouvoir trancher, tel un juge, juge que l’on ne voit pas, ni n’entend. Au cœur de cette histoire qui devient plus une enquête qu’un film de procès, il y a ce brigand joué par Toshiro Mifune, un homme brutal et sauvage bien qu’il ne paraisse pas imposant. Il a 30 ans dans la vie réelle et déjà une vingtaine de films à son actif, dont 4 avec Kurosawa. Face à ce brigand, il y a la femme du samouraï dans sa tenue blanche et sous son voile. Elle n’est pourtant pas l’ingénue sans défense que l’on pourrait penser, armée d’une dague pour se défendre de ce brigand devenu violeur.

Il y a l’honneur bafoué de cette épouse, mais aussi celui du samouraï. Car on ne voit rien ou si peu du viol proprement dit. Pourtant cela suffit à nous révolter contre ce brigand sans foi ni loi, cette sauvagerie dont on n’arrive pas à comprendre la source. Il est sale, torse nu, en sueur, piqué par des moustiques quand les autres protagonistes gardent une certaine pureté dans les traits et les habits. Mais ce qui choque, c’est le désespoir de cette femme face à la force de ces hommes, lorsqu’elle ne sent presque plus digne de vivre. On voit le poids du déshonneur plus encore que ce qui a été une blessure dans sa chair. Kurosawa traite déjà d’un thème assez rare pour l’époque, même s’il ne reste pas si central dans l’histoire. La victime ne devient plus le samouraï mais cette femme. Mais à travers elle, c’est tout le poids de l’honneur au sens large qui gangrène la situation. Au point d’avoir une conclusion plus inattendue sur l’égoïsme. Mais je n’en dirait pas plus sur l’histoire.

Mifune est impressionnant une fois encore dans la folie de son personnage, face au supposé noble samouraï qui ne comprend pas que l’on ne respecte aucune règle, surtout les siennes. Mais j’apprécie autant le jeu des autres personnages, chacun dans un registre difficile, notamment Machiko Kyo. La mise en image est toujours aussi précise et moderne avec un traitement des lumières très précis pour un noir et blanc de toute beauté et qui a été restauré dans les années 2000. J’avais l’impression d’avoir le boléro de Ravel dans les oreilles pour la musique mais avec quelques différences. C’est bien le cas car Kurosawa demanda à Fumio Hoyasaka d’en faire une adaptation japonisée pour le caractère cyclique de l’histoire. C’est très réussi à coté du reste de la partition. Le film n’a rien perdu de sa force même si aujourd’hui on a traité un peu plus du thème du viol ou de l’honneur. Peut-être aussi parce que le véritable sujet du film est ailleurs et reste justement fidèle à l’auteur de la nouvelle. Dans un Japon en reconstruction, Kurosawa a le droit de s’interroger sur ce qui amena le pays à la ruine et à la destruction. Dans le film, le Japon est aussi en guère et panse ses plaies. Voilà qui rend aussi le film plus universel par l’imbrication de ses récits, tout autant que pour la forme.

Ce film fait partie du challenge IMDB Top250

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Ecrit le : 16/10/2014
Categorie : cinema
Tags : cinéma,film,1950s,japon

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