Géopolitique - Turquie, la stratégie d'Erdogan
La Turquie est l’objet de critiques vives dans sa gestion de l’agression des Kurdes par l’Etat Islamique. Si les choix du premier ministre Erdogan sont criticables, ils doivent toutefois être pondérés par une situation géostratégique complexe. (in english at the bottom)
Pour nous, Français, il faut imaginer que le Kurdistan est un peu comme le pays basque : Réparti entre plusieurs pays, avec une minorité armée réclamant l’indépendance. Imaginons maintenant qu’en Espagne une force terroriste envahisse le pays et s’en prenne particulièrement aux basques. Les autres pays occidentaux décident alors d’envoyer des armes aux indépendantistes basques, tout en bombardant bien à l’abri dans les cieux. Voilà grossièrement la situation que ressentent les turques avec en fond une question : Une fois débarrassés de l’État Islamique au Kurdistan, que deviendront toutes ces armes ?
Un repositionnement géostratégique
Mais la différence est qu’Erdogan, à la manière de son (ancien) allié états-unien, a fermé les yeux sur ce qui se passait à sa frontière à la Syrie et cherche également à imposer à nouveau la Turquie comme force prédominante dans la région. Les négociations pour l’entrée dans l’Union Européenne étant au point mort, la Turquie se tourne, comme la Russie, vers l’Est et le Sud. Ainsi, le gouvernement turc voyait-il d’un bon œil l’affaiblissement du voisin Syrien. La Turquie profite également de la vente du pétrole par l’EI, tout en vendant vraisemblablement quelques armes produites localement (exportations pour 1,3 milliards de dollars en hausse de 35% en 2013). Confronté depuis des décennies au problème indépendantiste kurdes et aux terroristes du PKK, Erdogan voit l’occasion d’affaiblir cet ennemi de l’intérieur. Pour l’EI, il pense qu’ils se concentreront sur la zone au sud de la Turquie, soit ce qui serait l’ancien état du Levant.
Un calcul pourtant dangereux
Les revendications territoriales de l’EI sont assez floues car il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une organisation de brigands terroristes et pas d’indépendantistes, même si leur discours vise à rencontrer l’adhésion de tribus locales. L’EI vise à revenir à une situation antérieure aux années 20 et aux protectorats anglo-français qui ont malheureusement ensuite dessiné les frontières actuelles. Cela veut dire aussi revenir sur une rivalité entre l’empire Ottoman et les tribus arabes. Le démantèlement de l’empire Ottoman en 1924 avait déjà été l’objet d’un marché de dupes entre anglais et ces tribus. Un retour en arrière peut difficilement être basé sur des réalités historiques. Mais derrière le discours, on trouve une volonté d’une domination sunnite sur le territoire, donc sur ses richesses, ce qui explique le soutien initial des royaumes du golfe.
Le cas du Kurdistan
Les populations kurdes sont réparties sur principalement 4 territoires : Turquie, Syrie, Iran et Irak. Au gré des répressions, les populations ont migré dans l’un ou l’autre des territoires. Dans les années 20, les anglais promirent la création d’un grand Kurdistan après la chute de l’empire Ottoman. Promesse non tenue, comme tant d’autres dans la région. En Iran, les kurdes représentant 13% de la population, on parle assez peu de répression dans ce pays. Pourtant le point clivant reste encore la religion, les Kurdes étant principalement sunnites, dans l’état chiite d’Iran. En Irak, on se souvient de la sanglante répression aux armes chimiques dans les années 80, puis des manigances du pouvoir Irakien sous l’ère États-unienne et qui ont construit la situation actuelle. La population kurde représentait jusqu’à 22% de la population irakienne. Le cœur historique du Kurdistan se situe en réalité à cheval entre la pointe est de la Turquie (où ils représentent 23% de la population), celle de la Syrie et le nord de l’Irak et la ville de Kobane est un peu comme le QG actuel des forces kurdes, donc un symbole.
Solutions de sortie
Alors que le parlement turc a voté son entrée dans la coalition, on peut s’étonner du peu de cas qu’ont fait les occidentaux de l’avis du gouvernement Erdogan. Blessé dans son orgueil, le leader turc s’est évertué à tergiverser depuis pour avoir la place qu’il juge méritée dans cette crise. On ne voit pas pourquoi la Turquie irait seule faire des attaques au sol pendant que les occidentaux sont à l’abri dans le ciel. On parle également peu de la place que pourrait occuper la Russie dans les négociations, son influence étant grande sur la Syrie et l’Iran. Mais voilà, la crise Ukrainienne pèse indirectement sur tout cela et le manque de culture de l’OTAN dans cette gestion est proprement sidérant. Remettre Russie, Iran, Turquie et accessoirement Syrie à une même table tout en ménageant une porte de sortie aux Kurdes, est l’enjeu majeur pour une solution pérenne dans la région. Mais il semble que ce soient plutôt les intérêts pétroliers qui motivent les puissances occidentales à intervenir.
Turkey is under heavy criticism in its handling of the attack of Kurds by the Islamic State. If the choice of Prime Minister Erdogan can be criticized, however, it should be weighted by a complex geostrategic location.
For us, French, imagine that Kurdistan is a bit like the Basque country: Split between several countries, with an armed minority demanding independence. Now imagine that in Spain a terrorist force invaded the country and in particular to fight the Basque. Other Western countries then decided to send arms to the Basque separatists, while bombarding the ennemy, well protected in high altitude. This is roughly the situation experienced by Turkey with a question in the background: Once rid of the Islamic state in Kurdistan, what about these weapons?
But the difference is that Erdogan, in the manner of his (former) US ally, closed their eyes to what was happening at the border with Syria and also seeks to impose Turkey as a new predominant force in the region. Negotiations for entry into the European Union are aborted, so Turkey turns, like Russia, to the east and south. Thus, the Turkish government saw it favorably to weaken Syrian neighbor. Turkey also benefits from the sale of oil by ISIS while selling probably some weapons produced locally (exports represents $ 1.3 billion, up 35% in 2013). Faced for decades in Kurdish independence problem and the PKK terrorists, Erdogan sees an opportunity to weaken the enemy within. For ISIS, he thinks they will focus on the area south of Turkey, the presumed former state of the Levant.
But a dangerous calculation.
Land claims of ISIS are rather vague because we must not forget that this is an organization of terrorists and robbers, not separatists, even if their speech is designed to meet the accession of local tribes. The ISIS seeks to return to a situation prior to the 20s and the Anglo-French protectorates which unfortunately then drew the current boundaries. It also means back to a rivalry between the Ottoman Empire and the Arab tribes. The dismantling of the Ottoman empire in 1924 had been the subject of a fool’s bargain between English and these tribes. A flashback can hardly be based on historical facts. But behind the speech, there is a desire for a Sunni domination over the territory, with all its wealth, which explains the initial support of the kingdoms of the Gulf.
and Kurdistan…
The Kurds are spread over four main areas: Turkey, Syria, Iran and Iraq. with several periods of repression, people have migrated in either territory. In the 20s, the British promised the creation of a large Kurdistan after the fall of the Ottoman empire. Broken promise, like so many others in the region. In Iran, Kurds are representing 13% of the population, but we don’t speak of enforcement in this country. Yet the point is still cleaving religion, Kurds are mostly Sunni, in the Shiite state of Iran. In Iraq, we remember the bloody repression with chemical weapons in the 80s, and the machinations of the Iraqi power in the era of US power, which built the current situation. The Kurdish population was up to 22% of the Iraqi population. The historic heart of Kurdistan is actually straddles the eastern tip of Turkey (where they represent 23% of the population), that of Syria and northern Iraq and the city of Kobane is the headquarters of kurds forces, thus a symbol.
Output solutions.
While the Turkish parliament voted entering the coalition, it is surprising how little was done by the Western countries to get the opinion of the Erdogan government. We can’t imagine why Turkey would do alone ground attack when western countries are only doing aerian attacks. Wounded in his pride, the Turkish leader strived to procrastinate since, for the place he thinks Turkey deserved in this crisis. We also speak little about the place that could occupy Russia in negotiations. Its influence is greater on Syria and Iran. But now, the Ukrainian crisis weighs indirectly in all this and the lack of culture of NATO in this management is staggering. To welcome Russia, Iran, Turkey and Syria incidentally at the same table while providing a way out for Kurds, is a key factor for a lasting solution in the region. But it seems that these are rather oil interests that motivate Western intervention.